Aujourd’hui j’ai vu
comment meurt une ville
et j’ai été abandonnée
et je suis partie
et de rien
et je reviens d’un long voyage
mais par où commencer
par où
je commence par la mort
car on ne peut commencer que par la mort
de ce récit qui prend la forme de la misère
je vous conte une histoire
concernant des oiseaux
une histoire un conte une odyssée
l’odyssée du Phénix madame
ou comment aime le Phénix
avec ses flammes avec ses feux
lorsqu’il n’y a plus de dialogue possible
et que plus rien n’exprime l’amour
que le désir
lorsqu’il se jette et lorsqu’il flambe
je vous conte ce qu’ont vu mes yeux
des murex
et de la pourpre
et une terre libanaise qui aime brûle aime
et embrase la mer.
À peine suis-je née que je n’existe
déjà plus
car la guerre empêche la vie de naître
empêche les fleurs de mûrir
empêche le soleil
et rompt le rythme des choses
comment trouver un rythme
un rythme autre que celui des lamentations
Qu’Allah vous éloigne du fils d’Adam
s’écrie ma nourrice
de cet homme de la guerre
que Dieu vous épargne
ce qu’ont vu mes yeux
ces yeux-là qui ne se referment plus
depuis 1975
année de mon premier exil.
Nadine Ltaif, « Aujourd’hui j’ai vu... », Les métamorphoses d’Ishtar, suivi de Entre les fleuves, Éditions du Noroît, 2008, p. 13-14.